Onze Ans

Onze Ans (Fait Divers #1)

carte pop up sérigraphiée sur papier Fedrigoni Freelife
38 x 17 cm
édition limitée à 29 exemplaires numérotés

Illustration : Louise de Crozals
Ingénierie Papier : Claire Andlauer
Texte : Tristan Perreton

Oullins, le 26 octobre 2019

Ce lundi, au pavillon des Alizés, dans la proche banlieue d’une ville de France, c’est avec effroi qu’un corps sans vie, aux allures de momie des temps modernes, a été retrouvé reposant sur un fauteuil en état de délabrement aussi avancé que la dépouille elle-même, un magazine TV ouvert sur le programme de sa dernière heure.

Les investigations révèlent que la mort de cet homme, âgé d’une soixantaine d’années, remonterait à plus de onze ans.

« Drame de la solitude » titreront aisément les dépêches de fait divers et pourtant, une terrible réalité se dévoile derrière cette modeste façade d’un immeuble HLM.
« Le corps momifié d’une femme découvert chez elle cinq ans après sa mort »
« Un corps en décomposition retrouvé dans une maison : l’homme était mort chez lui depuis des années »
« Le cadavre d’un homme découvert plusieurs mois après sa mort ! »

Ces histoires de morts solitaires, retrouvés des années après leur trépas, figés dans leur ultime pose, ont fâcheusement tendance à se multiplier ces derniers temps. En voici une nouvelle, venue enrichir la liste toujours plus longue de ces sinistres affaires.

Selon les premiers éléments de l’enquête, le défunt était, d’après les rares voisins l’ayant côtoyé de son vivant, qualifié comme quelqu’un de « très discret » voire « d’isolé ».

« Il avait coupé les ponts avec sa famille » révèle en effet Josiane, locataire du 4° étage tandis que José, un autre résident, avance : « Il était un peu bizarre ».

Malgré ces témoignages, les voisins ne s’étaient aperçus de rien.

« Depuis le temps , on pensait qu’il avait déménagé et que le logement était vide » concède encore Josiane, en dépit des nombreuses lettres qui s’étaient accumulées depuis plus d’une décennie dans sa boîte, si bien que plus aucun prospectus ne pouvait y entrer. Le facteur lui-même renvoyait au dépôt les rares courriers encore adressés au nom du défunt. Elle jure toutefois que « si elle avait su », elle aurait volontiers aidé « ce pauvre homme ».

Quid des odeurs nauséabondes qui se dégagent d’un corps en putréfaction ? La mort de l’individu, dont l’identité n’a pas été divulguée, s’est produite il y a trop longtemps. Certains occupants de la résidence au moment du drame évoquent la conduite du vide-ordures souvent encrassée ou le local à poubelles mal nettoyé. « Peut être à une époque y-a-t-il eu une drôle d’odeur. Mais dans ce quartier, cela arrive souvent… » incrimine un locataire sous couvert d’anonymat.

« Vu la crise actuelle, je ne trouvais pas ça très normal que ce logement soit toujours inoccupé » fustige un autre habitant de l’immeuble. L’appartement fait en effet partie du parc immobilier HLM, mais le feu-locataire payait ses charges par virement automatique, « jusqu’à l’épuisement de son compte bancaire survenu il y a quelque mois. C’est dramatique mais on ne peut rien y faire» nous informe une source proche du dossier. Ainsi, ce n’est qu’au bout de onze ans que le bailleur à été contraint d’entamer une procédure de recouvrement. Suite à de nombreuses relances restées sans réponses et tout autant de recommandés non réclamés, la poursuite s’est achevée par cette macabre découverte, faite par l’huissier de justice et les policiers venus procéder à son expulsion.

L’enquête en cours cherche à déterminer l’origine du décès, difficile à diagnostiquer au vu de l’état de conservation épouvantable du corps. Ses restes, quasiment momifiés, reposaient sur un fauteuil, un magazine télé ouvert sur le jour probable du décès, confirmé par la date de péremption des yaourts conservés une décennie dans le réfrigérateur.

« Il y avait un mort au dessus de nous. C’est terrifiant », s’indigne Camille, jeune locataire du 2e étage.

L’inhumation du corps aura lieu au carré des indigents, l’homme n’ayant ni famille avérée ni liquidités.

« C’est tellement triste de mourir seul et oublié de tous comme ceci. » se désole Josiane, visiblement affligée par le destin funeste de cet homme. Les habitants de la résidence se sont donc cotisés pour acheter une couronne de fleurs au nom des Alizés, afin d’accompagner le défunt dans son dernier voyage vers la fosse commune.

Vibrant hommage pour ce voisin inconnu.